Le viseur : A quoi bon ?

Publié le par cité africaine

Tous sont contents ! Ceux de l’opposition pour la réussite de leur opération ville morte du mardi 16 février. Ceux de la majorité pour l’échec cuisant que cette entreprise a essuyé. La polémique ne faiblit pas. Chacun voit midi à sa porte, dit l’adage. Mais venons-en aux faits. Le moins que l’on puisse dire c’est que ce 16 février 2016, la vie à Kinshasa et dans un petit nombre de villes de la République s’est déroulée à l’aune de l’appel à la ville morte lancée par l’opposition congolaise. C’est ce mot d’ordre qui a, dans un sens ou dans un autre, donné le tempo de la marche des activités.

A Kinshasa, les médias dans leur ensemble ont noté que la vie a tourné au ralenti mardi matin dans la capitale congolaise. En voici la synthèse : ‘’ Sur les grands axes de la ville, la circulation était extrêmement fluide et la mégapole de dix millions d'habitants, habituellement grouillante, semblait comme amollie ! Après plusieurs heures de paralysie des transports, la vie reprenait timidement ; les taxis bus, taxis et wewa (taxis-motos) commençaient à reprendre du service, mais biens moins nombreux que d'habitude, et nombre d'habitants n'ont pu se rendre à leur travail. Durant la matinée, les bus des transports publics Transco circulaient pratiquement à vide et les magasins restaient largement fermés. La marée quotidienne d'écoliers et élèves en uniformes bleu et blanc avait également déserté les rues. Il est clair que les enfants ont enrichi leur vocabulaire d’un nouveau mot ‘’ ville morte’’. Il est indéniable que jusque dans les maisons des barons du régime, l’on a ressenti les effets de la ville morte, puisqu’aussi bien leurs enfants ont dû rester à la maison, les écoles belge, française et américaine qu’ils fréquentent n’ayant pas ouvert leurs portes pour cause de ‘’ ville morte’’. Mardi, il n’y en avait que pour la ville morte dans les conversations, dans les informations des médias nationaux et étrangers ainsi que sur les réseaux sociaux. Les pouvoirs publics ont pris toutes dispositions pour, sinon étouffer cet appel, au moins en atténuer les effets. Et ce mardi 16 février, il était impossible de capter par voie hertzienne la très suivie radio française RFI, le signal ayant été brouillé par l’autorité urbaine de Kinshasa, à en croire le porte-parole du gouvernement. Dans les villes, les dispositifs sécuritaires étaient largement visibles, avec des policiers en faction aux points chauds, l’arme au pied. Pour autant, les choses se sont déroulées dans le calme, sans violences. A l’intérieur du pays, le mot d’ordre de l’opposition a été généralement ignoré. Tout autant que la population, le comportement des services d’ordre a été exemplaire’’.

Voilà donc en gros les faits, à quelques nuances près. Vu sous un certain angle, l’on peut dire que c’est un point de marqué pour la vie démocratique chez nous. Qui pourrait contester qu’il existe bien une opposition ici; qu’elle est présente ; que sa voix est audible ? Quel démocrate pourrait s’en plaindre ? Cela est conforme à l’article 8 de la Constitution : « L'opposition politique est reconnue en République Démocratique du Congo. Les droits liés à son existence, à ses activités et à sa lutte pour la conquête démocratique du pouvoir sont sacrés. Ils ne peuvent subir de limites que celles imposées à tous les partis et activités politiques par la présente Constitution et la loi »

Pour autant, il y a maintenant un autre débat. Quel jugement se faire de cette ville morte ? L’opposition a-t-elle réussi son coup? Pour la majorité, ‘’ville morte’’ signifie paralysie totale des activités ; or, «Kinshasa a été tout, sauf une ville morte. Quand l’on sait ce qu’étaient les villes mortes durant la lutte contre la dictature de la Deuxième République, ce qui s’est passé mardi représente un cinglant échec pour l’opposition. Dans la quasi-totalité des villes, l’appel de l’opposition a été superbement ignoré par la population congolaise qui a ainsi donné la preuve de son adhésion à la politique de modernité et de dialogue du président Kabila et tourné le dos aux vendeurs d’illusions, aux bonimenteurs et autres adeptes des laboratoires malfaisants ». En revanche, telle n’est pas la lecture des événements dans l’autre camp. Evaluant sa ville morte, l’opposition pavoise. Pour elle, son mot d’ordre a été largement suivi. ‘’A Kinshasa, miroir du pays, universités, instituts supérieurs, écoles, magasins, boutiques, marché central, banques, sont restés fermés une bonne partie de la journée. Quand l’on sait que le peuple est soumis à la misère et vit au jour le jour, et quand l’on considère que le pouvoir a recouru à des procédés qui violent le droit constitutionnel de grève et de manifestation, en promettant la révocation aux fonctionnaires qui useraient de leur liberté de manifester, le fait d’arriver ainsi à associer la population pour paralyser dans une mesure notable la vie à Kinshasa et dans certaines villes est une victoire incontestable’’.

Mais, au delà de la polémique sur la réussite ou l’échec de cette opération, des questions pourraient être posées : A quoi bon une journée ville morte? A quoi cela sert-il ? Et puis, après ?

Aux dires de ses organisateurs, cette démarche visait à lancer un message fort à la communauté internationale et à Joseph Kabila sur les attentes du peuple congolais par rapport au respect des délais constitutionnels et au refus du glissement du mandat présidentiel. Y sont-ils arrivés ? Peut-on raisonnablement penser qu’un pouvoir arc-bouté sur une ligne de conduite donnée puisse la modifier et s’en détourner du fait d’une journée ville morte à la fortune somme toute mitigée ? Rien n’est moins sûr.

Fichtre, après tout, qu’importe. N’est-ce pas ainsi que fonctionnent les sociétés démocratiques ? Ici, en effet, les initiatives de l’opposition, agissant soit comme lampe témoin, soit comme contre pouvoir, ou comme minorité de blocage, servent à garantir la vitalité de la démocratie et à la faire respirer.

Cela dit, l’histoire des journées ville morte dans ce pays nous a montré que leur efficacité reste bien sujette à caution. Car c’est plus la population qui en pâtit que ses dirigeants.

Mantha L

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