Burkina Faso: La révolution solde les comptes du régime Compaoré

Publié le par citaf

‘’Pas question de remplacer le diable par un diablotin’’ ! Tel est le leitmotiv de la lutte actuelle du peuple révolutionnaire du Burkina Faso, qui, après avoir mis fin aux 27 ans de pouvoir autocratique de Blaise Compaoré, n’entend pas voir sa révolution être confisquée par les militaires et s’en aller en eau de boudin. La chute soudaine du dictateur de Ouaga avait laissé la révolution comme groggy. Comment faire repartir le pays ? Sur quelles bases ? Avec quel dirigeant ? Alors qu’il n’avait suffi que de deux jours pour faire tomber un pouvoir imprenable, dix jours se sont révélés jusque là insuffisants pour relancer le pays. Le monde retient son souffle. Le bel exemple du Burkina risquait tout à coup de tourner au cauchemar. Hommage encore une fois au peuple burkinabè qui a réussi à sauvegarder son bien le plus précieux : l’avenir du Burkina Faso. Aujourd’hui, le terrain paraît déblayé pour que le Burkina poursuive sa destinée. Le président intérimaire, le lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida, a assuré jeudi que les forces politiques et sociales, rassemblées autour des forces militaires et aidées de la communauté internationale, sont parvenues à se mettre d’accord sur le cadre devant gouverner l’organisation de la vie commune : Rétablissement de la constitution ; Ouverture d’une transition civile d’une année ; Organisation des élections présidentielles et législatives en Novembre 2015. Désignation d’une personnalité civile consensuelle pour diriger la transition. Reste maintenant que les consultations se poursuivent en vue d’identifier l’oiseau rare, l’éminente personnalité civile qui aura la lourde charge de remettre le Burkina en ordre de marche, dans l’unité et la concorde. Mais, il faut dire qu’on revient de loin. Cinq prétendants, un fauteuil : Quand l’armée s’installe Le cauchemar commence aussitôt Compaoré mis en fuite. D’abord, c’est le chef des armées, le général Honoré Traoré qui s’autoproclame chef de l’Etat du Burkina Faso. Mais, vendredi, une annonce officielle du lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida, le numéro 2 de la garde présidentielle, indique qu’il « assume les responsabilités de chef de la transition et de chef de l'Etat ». Il dit vouloir définir « de manière consensuelle [...] et avec l'ensemble des partis politiques et des organisations de la société civile, les « contours » et « contenus » d'une « transition démocratique apaisée ». Il annonce la suspension de la constitution. Isaac Zida appelle également la communauté internationale, notamment l'Union africaine et la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao), « à soutenir» le peuple burkinabè « dans ces dures épreuves ». Quelques heures plus tard, en début de soirée, devant la foule massée à son quartier général, le lieutenant-colonel Zida prendra de nouveau la parole. Il annonce le maintien du couvre-feu de 19 h à 6 h (locales) du matin. Précisant que les forces de sécurité et de défense seraient fermes, il annonce également la fermeture des frontières terrestres et aériennes au nom de la « sécurisation du territoire national. » L’homme a été clair : il ne laissera pas continuer l’anarchie et il va concerter les autres couches de la société, pour voir comment il faut mettre en place le programme de transition…Il a même promis un entretien avec le général Traoré au cours de cette journée. A l’issue de cette concertation, je crois qu’une autre déclaration doit être faite aux Burkinabè. » Ensuite, tard dans la nuit, c’est sous l’escorte de ses hommes que le lieutenant-colonel Zida rejoint le palais présidentiel. Il y est accueilli par de nombreux soldats du régiment de la sécurité présidentielle qui le conduisent directement dans le palais présidentiel. lus tard, encore, dans une interview, le lieutenant-colonel Zida déclare « caducs » les propos du général Traoré qui , la veille, déclarait lui aussi vouloir assumer la responsabilité de chef de l'Etat. Tout le monde retient donc son souffle. D’autant que des spécialistes et autres observateurs se lancent en de pessimistes conjectures. L’on souligne que l'armée n'est pas un corps monolithique ; que la gestion patrimoniale de l'armée par Blaise Compaoré a contribué à en faire un foyer de clans putschistes qui se disputent à tour de rôle le pouvoir ». Voilà pourquoi cette situation de deux militaires hauts gradés se disputant la direction de la transition ne présageait rien qui vaille. Il convient de saluer la maturité et le sens élevé de responsabilité des militaires. D’abord ils avaient globalement laissé faire le peuple burkinabè pour chasser Blaise Compaoré. Cette fois, ils mettront tout en œuvre pour accorder leurs violons afin d’éviter tout bicéphalisme à la tête de l'Etat. Le général Honoré Traoré, chef d'état-major des armées, et le lieutenant-colonel Zida, numéro 2 du Régiment de sécurité présidentielle, vont engager donc des tractations, au siège de l'état-major général des armées à Ouagadougou. Les autres chefs d'état-major des armées du Burkina Faso sont également présents. Au compteur, le lieutenant-colonel Zida semble avoir déjà une longueur d’avance sur le général Traoré. Vendredi, il avait été publiquement adoubé par les représentants de la société civile et notamment les leaders du collectif ‘’Balais citoyen’’. Zida avait d’ores et déjà occupé le palais présidentiel. Et ce samedi, « en venant au siège du chef d'état-major des armées, le lieutenant-colonel Zida était accompagné d'une sirène et d'un cortège présidentiel ». La voix de la tempérance va peser lourd. Un communiqué, signé par le chef d'état-major Nabéré Honoré Traoré, est publié à l'issue de la réunion des hauts gradés militaires à l'état-major de Ouagadougou : « Le lieutenant-colonel Isaac Zida a été retenu à l'unanimité pour conduire la période de transition ouverte après le départ du président Compaoré », peut-on lire. Le général Traoré, qui briguait aussi le pouvoir, reconnaît ainsi la victoire de son concurrent. Le lieutenant-colonel Zida , 49 ans, est donc adoubé par les chefs d'état-major de l'armée. Il devient alors l'homme clé de la transition naissante. Dimanche, tout semble indiquer que l’échiquier pour l’installation de la transition démocratique se met peu à peu en place à Ouaga. L’armée parle désormais d’une seule voix en la personne du lieutenant-colonel Zida. En réalité, les choses ne sont pas aussi simples. La Commission de l'UA appelle les militaires du pays à remettre le pouvoir aux civils. Cette option est également soutenue par l'opposition et les organisations de la société. Les Burkinabè sont appelés à descendre dans la rue dimanche pour maintenir la pression sur l’armée. Et ce dimanche 2 Novembre , à la mi-journée, la situation prend subitement un tour nouveau et violent à Ouagadougou. Des tirs sont déclenchés à la RTB, l’Office de Radiodiffusion Télévision du Burkina. Les militaires ont procédé à des tirs de sommation alors que la foule se pressait dans le bâtiment. Pour cause : le général Kouamé Lougué, ancien chef des armées à la retraite forcée, s’est présenté à la télévision pour dire qu’il prenait la tête de l’Etat. Quelques minutes plus tard, Saran Sérémé, une autre figure de l’opposition, prétendait elle aussi prendre la tête de l’Etat. S’ensuivit un cafouillage. Les militaires sont obligés de tirer. Bilan : 1 mort. Un mort de plus ! Un mort de trop ! La révolution est sur le point de chavirer. Forcing pour une transition civile L’avènement de l’armée au pouvoir d’Etat n’arrange ni la classe politique burkinabè ni la société civile. L’atmosphère se complique et empire. Ça va dans tous les sens ! Sosso Adama, secrétaire général de l'UPC, principal parti de l'opposition déclare : « Notre position a toujours été claire. Nous avions demandé à l'armée de se joindre au peuple pour que le mouvement d'insurrection populaire soit une réussite. Maintenant que le mouvement a réussi, nous attendons toujours que l'armée et notamment le lieutenant-colonel Zida entre en contact avec nous, pour que nous comprenions très bien dans quel sens nous allons partir [...] Nous ne devons pas oublier ce qui est arrivé en 1966, où le peuple est également sorti, et l'armée a pris le pouvoir, et l'a gardé jusqu'à aujoud'hui [...] Si les nouvelles autorités militaires ne veulent pas aller dans le sens du peuple, ça veut dire que la lutte n'est pas terminée .» Maître Bénéwendé Sankara, Union pour la renaissance, Parti sankariste : « Nous condamnons toute idée de coup d'Etat militaire [...] Nous sommes en train d'assister à une confusion au niveau du sommet de l'armée…Ce que nous souhaitons c'est qu'il y ait une véritable concertation et qu'on mette en place un organe consensuel pour gérer la transition. » « Pourquoi des militaires ? Je crois que nous avons des civils capables de gérer la transition. Le peuple burkinabè n'a pas réalisé sa révolution pour basculer dans un bain de sang entre militaires. » De leur côté, les associations et organisations de la société civile se sont également parlé. Les organisations se sont entendues finalement, réaffirmant quelques principes : ce qui est arrivé n'est pas un coup d'Etat, juste une insurrection populaire ; les organisations de la société civile souhaitent donc le rétablissement de la Constitution, de la légalité constitutionnelle ; la transition démocratique doit aboutir à une élection ; une structure consensuelle doit être mise en place pour gérer la transition. L'opposition et la société civile burkinabè, réunies à Ouagadougou, demandent une transition « démocratique et civile ». « La victoire issue de l'insurrection populaire appartient au peuple, et par conséquent la gestion de la transition lui appartient légitimement et ne saurait être en aucun cas confisquée par l'armée », peut-on lire dans leur communiqué rendu public par l'Agence France-Presse. Avec les Nations unies et la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest, l'Union africaine se mêlent à la danse. L'UA fait valoir par communiqué sa préférence pour une forme civile de transition. El-Ghassim Wane, directeur du département Paix et sécurité de la Commission de l'UA, précise cette position : « Il nous semble important que les forces armées et de sécurité du Burkina se mettent à la disposition des autorités civiles, qui doivent conduire la transition.... Nous pensons qu'une transition civile et consensuelle répondrait non seulement aux aspirations légitimes du peuple burkinabè - aspiration au changement, aspiration à l'approfondissement de la démocratie -, mais faciliterait aussi grandement la mobilisation de l'assistance internationale pour permettre une sortie de crise. » Luc Marius Ibriga, président du Forum des citoyens de l'alternance (Focal), s'exprime en ces termes: « Il n'est pas question que cette insurrection populaire soit transformée en un coup d'Etat… Il faut que la société civile et les démocrates de ce pays réagissent rapidement, pour que nous ne soyons pas dans une situation de vide juridique et de vide constitutionnel. Nous exigeons la levée de la suspension de la Constitution, et l'ouverture d'une transition civile et démocratique qui serait dirigée par une structure consensuelle adoptant une charte de la transition pour nous permettre de revenir à un fonctionnement régulier des institutions. » Les réactions affluent, suite à la désignation du lieutenant-colonel Zida au poste de président de la transition. Au point que l'opposition et la société civile burkinabè appellent la population à un grand rassemblement public sur la place de la Révolution, à Ouagadougou, dimanche 2 novembre. Dans une déclaration publique, Jean Hubert Bazié, président du parti Convergence pour l'espoir, annonce au peuple burkinabè la tenue d'un meeting dimanche à Ouagadougou : « L'opposition politique et les organisations de la société civile ont réaffirmé que la victoire issue de l'insurrection populaire appartient au peuple. Et par conséquent, la gestion de la transition lui revient légitimement et ne saurait être, en aucun cas, confisquée par l'armée... Pour réaffirmer leur position commune, les organisations de la société civile et l'opposition politique ont décidé d'un meeting ce dimanche 2 novembre 2014 » Alors que la manifestation est en marche, la médiation internationale s’est mise au diapason de la société civile en appelant à la mise en place d'un régime de transition « conduit par un civil » et « conforme à l'ordre constitutionnel … Nous voulons éviter pour le Burkina Faso la mise en place de sanctions », déclarera l'émissaire de l'ONU pour l'Afrique de l'Ouest, Mohamed Ibn Chambas lors d'une conférence de presse au nom de la mission de concertation tripartite ONU-Union africaine-Cédéao. Dans un message communiqué ce dimanche matin à Washington par le département État, les Etats-Unis appellent l’armée du Burkina Faso à transférer le pouvoir aux autorités civiles. « Nous appelons l'armée à transférer immédiatement le pouvoir aux autorités civiles », a déclaré une porte-parole du département d'Etat, Jen Psaki. Et il a ajouté : « Les Etats-Unis condamnent la tentative de l'armée burkinabè à imposer sa volonté au peuple du Burkina Faso ». A la manifestation de Ouagadougou , dimanche 2 Novembre, le public a commencé à vociférer : « On ne veut pas des militaires au pouvoir, Zida démission ! ». Devant la furie des manifestants, les leaders de l’opposition exigeront séance tenante la démission du lieutenant-colonel Zida, le chef d’État militaire au Burkina Faso. Place de la Nation , les vociférations exprimaient bien le sentiment de colère éprouvé par de nombreux manifestants. On pouvait entendre notamment : « On nous a confisqué notre victoire. Ça ne peut pas se passer comme ça ! Et voilà des gens qui sont restés chez eux, qui n’ont rien fait, qui ont tiré sur nos militants, et aujourd’hui qui s’accaparent le pouvoir ! » « On voulait le départ de Blaise, il est parti. On n’a pas besoin d’un autre homme fort ! ». Devant toutes ces pressions, le lieutenant-colonel Zida a dû ouvrir des tractations avec les forces vives du Burkina pour s’entendre autour de la marche de la transition. Les militaires assurent à nouveau que l'équipe chargée de la transition sera installée dans un esprit de « consensus large » : « Soyez rassurés, personne ne sera écarté ». Si les forces vives estiment « s'être trompées » en appelant l'armée à intervenir dans le processus de transition par la personne du lieutenant-colonel Isaac Zida, et pensent être en mesure de mener cette première phase de la transition à sa place, il est encore temps de revenir voir l'armée, a fait valoir cette dernière. Les militaires précisent que toutes les tentatives de désordre seront réprimées avec la plus grande fermeté. L'armée assure que les troubles survenus au siège de la radio télévision d’Etat sont une « atteinte » « irresponsable » au processus de transition en cours. « Nous demandons à ce qu'on nous laisse travailler, pour remettre notre pays sur les rails dans l'intérêt de tous. ». Clan Compaoré : l’heure des comptes Beaucoup de proches de Blaise Compaoré , membres de sa famille politique ou biologique ont dû acquitter un prix fort, lors des événements ayant rythmé la chute du régime. Ce fut le sauve qui peut. Samedi 1er Novembre la nuit, le lieutenant – colonel Zida annonçait: Blaise Compaoré est « dans un lieu sûr ». Son « intégrité physique et morale est assurée » Dimanche, 2 Novembre, il n’y avait pas de doute : L'ancien président burkinabè et son épouse étaient bien en Côte d'Ivoire. C'est ce qu'a déclaré Chantal Compaoré à RFI par téléphone, confirmant ainsi des témoignages ivoiriens. « Le président et moi sommes bien à Yamoussoukro. Tout va bien », a déclaré Mme Compaoré. Rien d'étonnant dans ce choix, dit-on. Une dizaine de jours plus tôt, à l'occasion des cérémonies de commémoration du 20ème anniversaire de l'Union économique et monétaire ouest-africaine, le président ivoirien Alassane Ouattara avait salué à Ouagadougou « l'ami » et « frère » Blaise Compaoré. On le sait, il était déjà son principal allié avant qu'il ne prenne le pouvoir à Abidjan. Des témoignages indiquent que Chantal Compaoré est arrivée en Côte d'Ivoire bien avant son mari. Elle avait été mise à l'abri, en prévision de possibles troubles. Depuis plus de 24 heures, elle attendait Blaise Compaoré à Korhogo, la ville ivoirienne du nord. Selon des informations de presse, le président déchu était censé trouver refuge à Pô, son ancien fief, le vendredi 31 octobre. Mais il a décidé de changer d'itinéraire, se sachant attendu sur place par un ‘’comité d’accueil’’ peu sûr. Et François Hollande de préciser : ‘’ C’est la France qui a exfiltré le président Blaise Compaoré’’. L’on a appris plus tard, que le président fugitif, après avoir quitté Ouaga dans une colonne de 4X4 blindés, s’était arrêté sur la route de Pô à une cinquantaine de kilomètres de Ouaga. Avec son frère François et son chef d'état-major particulier Gilbert Diendéré, ils ont attendu dans un endroit discret l'arrivée de son hélicoptère et d'hélicoptères « amis », selon une source proche de l'ancien couple présidentiel. L'hebdomadaire Jeune Afrique écrit : « En contact permanent avec le président ivoirien, Blaise Compaoré et ses accompagnateurs ont attendu dans une zone non habitée l'hélicoptère envoyé par Alassane Ouattara jusque dans le milieu de l'après-midi ». Alassane Ouattara confirmera plus tard la nouvelle. « Le président de la République informe le peuple ivoirien, les populations vivant en Côte d’Ivoire ainsi que la communauté internationale que le président Blaise Compaoré, sa famille et ses proches ont été accueillis en Côte d’Ivoire », pouvait-on lire dans un communiqué de la présidence ivoirienne. En toute hypothèse, pour la famille Compaoré, les temps de l’errance ont commencé. Selon des informations de presse, François Compaoré - frère du président déchu -, ainsi que sa femme, sont bel et bien arrivés samedi 1er Novembre matin à Cotonou, au Bénin, avec trois autres ministres. Ils sont passés par la frontière nord du pays. Beaucoup s’offusquent que Blaise Compaoré coule des jours paisibles à Yamoussoukro, la ville ivoirienne où il a élu domicile, après qu’on l’ait cru au Ghana, puis au Togo. Le président déchu et sa compagne Chantal occupent une luxueuse villa baptisée le « Giscardium » car inaugurée autrefois par le président français Valéry Giscard d’Estaing. En ville, les réactions oscillent entre accueil enthousiaste et franche hostilité, rapporte l’Agence France-Presse. D’un côté, Blaise Compaoré est accusé d'avoir soutenu la rébellion ayant porté au pouvoir Alassane Ouattara, après la crise postélectorale de 2010-2011 qui fit plus de 3 000 morts en cinq mois. De l’autre, certains rappellent que M. Compaoré s'était imposé comme médiateur lors du coup d’Etat manqué de 2002 qui avait profondément divisé la Côte d’Ivoire. Des médias locaux burkinabè ont diffusé un communiqué de Mariam Sankara, signé à la main, daté du 1er novembre 2014. On y lit que l'ex-première dame, veuve du président Thomas Sankara assassiné en 1987, souscrit à l'idée d'une transition dirigée par des civils. La veuve se livre à une attaque en règle contre le successeur de Thomas. Jamais, rappelle-t-on, Mme Sankara « n’a cessé » de demander qu’une enquête soit menée pour déterminer les causes de la mort de son « mythique » président de mari. « Chers compatriotes, vous venez de remporter une victoire sans précédent par cette insurrection populaire », écrit Mariam Sankara depuis Montpellier, en France, où elle réside. « En se référant à la révolution du 4 août (1983, soit l'arrivée au pouvoir de son mari, NDLR) la jeunesse burkinabè a réhabilité Thomas Sankara (...), je suis fière, je vous félicite. » Dans cette missive, Mme Sankara est particulièrement dure à l'encontre de Blaise Compaoré. La veuve écrit notamment : « L'image de médiateur dans la sous-région dont s'était drapé (Blaise Compaoré) ne doit en aucun cas le disculper. Et dire qu'en 2012, il a même caressé l'idée d'avoir le prix Nobel de la paix comme s'il oubliait tous les crimes ourdis depuis 1987. Ce monsieur qui était sollicité comme médiateur dans les conflits était en réalité celui qui les attisait. Des pays comme l'Angola, le Liberia, la Sierra Leone, la Guinée, le Mali et la Côte d'Ivoire où il a trouvé refuge ont subi ses manœuvres de déstabilisation. Non, il ne doit pas couler des jours paisibles à Yamoussoukro. Il doit répondre de ses actes et de ses crimes de sang. » Aujourd’hui, Blaise Compaoré sent déjà le vide qui se crée autour de lui. Des témoignages confirment par exemple que Gilbert Diendéré, chef d'état-major particulier de Blaise Compaoré - un temps annoncé à Yamoussoukro au côté de l'ancien président après sa démission -, se trouve bien à Ouaga. Il est bien venu au siège du Conseil économique et social de Ouagadougou, après la réunion entre les leaders de l'opposition et le lieutenant-colonel Zida, qui a établi son quartier général sur place. Mais, les membres de la famille politique de Blaise Compaoré sont loin de la mener large à Ouaga. La révolution se demande bien quelle place accorder à l'ancienne majorité présidentielle dans la transition qui s’ouvre. C’est le temps des règlements de comptes et des reniements. Alors que certains cassiques de l’ancien régime ont pris le chemin de l’exil, Assimi Kouanda, le secrétaire exécutif national du parti de l'ex-président (CDP), Adama Zongo, le président de la Fédération des associations pour la paix avec Blaise Compaoré, ont été convoqués à la gendarmerie en vue d'être entendus sur des propos qu'ils auraient tenus fin octobre avant le début du soulèvement . D’autre part, l'arrivée d'une délégation de l'ancienne MP dans les concertations a donné lieu, à un véritable coup de sang, une bronca des autres participants. L'opposition politique et la société civile sont irritées par la Cédéao, qui a invité cette délégation. C'est ce qu'explique Guy-Hervé Kam, porte-parole du Balai citoyen (société civile) : « Les dirigeants de la Cédéao auraient dû informer que la plénière se ferait avec l'ensemble des partis, y compris ceux de l'ex-majorité, explique-t-il. On serait venus en connaissance de cause. (...) « Je considère que ça frise un peu le manque de respect, ajoute-t-il. Déjà, au Burkina, nous ne sommes pas du tout en phase avec la Cédéao qui a manqué à ses obligations quand le Burkina avait des difficultés. Venir maintenant en pompiers, je pense qu'ils devraient quand même avoir l'humilité de savoir qu'ils ont déjà commis une faute et préparer les esprits à cette rencontre là. On ne met pas comme ça les gens en face sans préparation ». Un autre participant a été plus virulent : « C’est une provocation. Ces gens ont tué plusieurs des nôtres. Leurs corps sont encore à la morgue ; nous n’avons pas encore fait le deuil. C’est impensable de voir ces gens venir nous narguer. Leur place est en prison, pas ici avec nous». « On est déçus parce que apparemment tous ceux qu’on avait pris et mis en prison, l’armée a contribué à les libérer comme la majeure partie des ministres, même le frère cadet de Blaise Compaoré qui se retrouve présentement au Bénin », s’emportait un autre militant. « Mais nous, on ne peut pas digérer ça ! Ce sont des gens qui ont pillé l’argent de ce pays, il faut bien qu’ils payent ! ». Au Burkina, il ne fait pas bon d’être de la MP aujourd’hui. Où sont-ils passés, ces hérauts qui chantaient les louanges de l’irremplaçable Blaise Compaoré ! Accord sur la transition Les revendications du peuple burkinabè pour une transition civile rejoignent celles de la communauté internationale. Mohamed Ibn Chambas, représentant spécial du secrétaire général des Nations unies pour l'Afrique de l'Ouest, explique à Ouagadougou : « La Cédéao (Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest, NDLR), l'Union africaine et les Nations unies sont engagées pour continuer les consultations avec les uns et les autres, les parties prenantes burkinabè, et trouver une porte de sortie conforme à la Constitution ». En attendant, le lieutenant-colonel Zida recevait, consultait sans exclusive. Jean-Baptiste Ouédraogo, ancien chef de l'Etat déposé par Thomas Sankara a également été reçu. On s’en souvient, en mars dernier, il avait tenté de jouer la médiation entre Blaise Compaoré et l'opposition, au moment de la question de la réforme constitutionnelle et du fameux article 37. Toutes les figures de proue de l’opposition ont été associées aux discussions en cours, au siège du Conseil économique et social de Ouagadougou, avec le lieutenant-colonel Zida : Zéphirin Diabré (UPC), l'ancien ministre des Affaires étrangères Ablassé Ouedraogo, l'ancien président de l'Assemblée nationale devenu opposant Roch Marc Christian Kaboré (MPP), et Bénéwendé Sankara, leader du parti sankariste. La valse des consultations s’est poursuivie avec les autorités religieuses et coutumières, ainsi qu'avec les diplomates étrangers et les organisations internationales. L'armée se dit guidée par « l'honneur » et se déclare désintéressée par le pouvoir, car « seul l'intérêt supérieur de la nation prime ». L'ambassadeur des Etats-Unis, celui de la République française ainsi que le représentant de l’Union Européenne se sont également rendus au siège du Conseil économique et social pour rencontrer le lieutenant-colonel Zida. L'UE a appelé l'armée burkinabè à respecter les droits fondamentaux de la population, y compris celui de manifester pacifiquement. Pour sa part, le Canada, sans crier gare, a tôt fait de suspendre la coopération avec le Burkina jusqu’à l’installation d’institutions nouvelles issues des élections. Dépêchés par la CEDEAO, les présidents Goodluck Jonathan du Nigeria, Macky Sall du Sénégal et John Dramani Mahama du Ghana ont achevé jeudi une mission à Ouagadougou, après y avoir mené des pourparlers avec le lieutenant-colonel Zida et les ténors de l’opposition ainsi que de la société civile. La tâche est vaste, mais le président ghanéen John Dramani Mahama s'est déclaré optimiste. Il a encouragé les Burkinabè à « surmonter la douleur et la peine le plus rapidement possible, afin que toutes les composantes de la société du Burkina Faso participent aux décisions qui permettront de mettre sur pied une démocratie stable ». « Même si des gens sont contrariés vis-à-vis de leurs frères et sœurs, ajoute-t-il, il nous faut les impliquer, de sorte que quel que soit l’accord que nous allons trouver, ce soit l’accord de toute la société. Nous allons parvenir à un accord et mettre sur pied un gouvernement de transition. Je suis certain que nous n’allons pas arriver au stade où la communauté internationale devra imposer des sanctions.» L’on sait d’ores et déjà que le gouvernement de transition aura une durée de vie d’un an, c’est-à-dire jusqu’à l’organisation d’élections présidentielle et législatives d’ici novembre 2015. Dans une conférence de presse, le lieutenant-colonel Zida a indiqué jeudi dernier qu’il poursuit les consultations inclusives entre les leaders des différents partis, les leaders religieux, les représentants de la société civile et les forces militaires pour se mettre d’accord sur la structure et la composition des organes de transition et sur la personnalité civile qui devra diriger le Burkina. Sur la même ligne, un sommet de la Cédéao convoqué jeudi a été sanctionné par la mise en place d’un Comité de contact chargé de suivre la situation au Burkina Faso, sous l’égide du président du Sénégal. L’on indique que l’on devrait connaître, peut-être ce lundi, la personnalité civile qui devrait faire consensus. Les leçons : A qui le prochain tour ? Quelles leçons les événements du Burkina inspirent-ils ? Sur RFI : Antoine Glaser, journaliste et écrivain, ancien directeur de La Lettre du continent déclare: « Bien sûr que ce qui s'est passé peut se reproduire ailleurs. Il y a un effet de mimétisme. Rappelez-vous, il ya quelques années, on parlait beaucoup de dynasties en Afrique. Après finalement que Karim Wade n'a finalement pas succédé à son père au Sénégal et également, au sein de la société civile africaine, avec les mouvements «Y'en a marre ! » au Sénégal ou «Balais citoyen» au Burkina Faso, c'est certain que vous avez un effet de mimétisme. Et je pense qu'un certain nombre de présidents qui se préparent à réviser leur Constitution dans les deux Congo ou au Rwanda, ont dû mal dormir. D'ailleurs, vous avez vu le silence assourdissant des clubs de chefs d'Etat. Ils sont tous aux abris. Ils savent que quelque chose de très important vient de se produire.» De son côté, un des leaders de l’opposition de la RDC, Hon. Martin Fayulu, président de l’ECidé, dit retenir des événements du Burkina trois leçons : (i) Aucune situation sur cette terre des hommes ne peut demeurer éternelle ;(ii) un peuple déterminé, comme le peuple burkinabè ou comme le peuple congolais de Kinshasa ou de Brazzaville, ce peuple déterminé est plus dangereux qu’une bombe, qu’un tsunami ; (iii) Les autres dirigeants africains qui sont dans la même situation de révision constitutionnelle intéressée que le Burkina, doivent sonder leur conscience et dans seulement dans l’intérêt supérieur de la nation, tirer des leçons salutaires. D’autre part, Jean-Marie Bockel, député du Haut-Rhin, ancien ministre de la Coopération sous Nicolas Sarkozy qui avait annoncé la fin de la Françafrique : « Ce qui se passe au Burkina Faso et qu’on voyait venir depuis un certain temps, c’est ce qui va sûrement se développer dans les prochaines années. Quelles que soient les qualités d’un certain nombre de chefs d’Etat, à un moment donné, il y a l’usure du pouvoir. On est au coeur du paradoxe africain, entre d’un côté le continent d’avenir, l’Afrique de la croissance, l’Afrique continent convoité, et cette jeunesse africaine qui est en colère, ces peuples qui sont excédés…A un moment donné, il faut renverser la table, porter un autre regard sur la question de la gouvernance. Et ça ne viendra pas des donneurs de leçon, ça viendra des Africains eux-mêmes. » Dans cet ordre d’idées, ils sont nombreux à avoir tiré à boulets rouges sur les instances de l’Union Africaine, lui reprochant de continuer à se comporter comme un syndicat de chefs d’Etat à l’image de sa devancière l’OUA. On voit en effet cette UA qui aujourd’hui s’empresse de brandir les menaces de sanctions contre le Burkina au cas où n’étaient pas suivis les mécanismes constitutionnels d’installation d’un nouveau pouvoir à Ouagadougou. « Mais quand Blaise Compaoré faisait des coups d’Etat contre la constitution du pays, quand il se dressait contre la volonté de son peuple, où était l’Union Africaine ? Se demande-t-on ? La situation au Burkina est scrutée avec attention par d’autres pays africains, comme chez nous, en RDC où le débat sur une possible révision constitutionnelle fait rage. A Kinshasa, à tort ou à raison, l’on se gausse des politiques congolais de la majorité qui, affirme la rumeur, sont partis à Ouaga pour s’inspirer des stratégies du maintien au pouvoir de Blaise Compaoré. Mais, raille-t-on, les membres de cette délégation ont appris une autre leçon au Burkina Faso, à savoir : comment on pouvait quitter le pouvoir si l'on ne respectait pas les textes auxquels on avait soi-même souscrit. Atundu Liongo, président d’un petit parti non représenté au Parlement, et membre de la MP, cité comme ayant été l’homme qui a conduit la délégation du camp Kabila à Ouaga , dément rageusement l’information. Il dit n’avoir jamais été au Burkina Faso au moment des événements de fin Octobre. Il reconnaît cependant avoir séjourné, il y a deux mois au Burkina Faso, non pas sur une mission de la MP mais pour son compte propre, dans le cadre de son Bureau d’Etudes Stratégiques, aux fins de mener des investigations sur l’expérience du Burkina Faso. Pour quelle finalité ? S’interroge-t-on. Depuis que cette information cocasse de son voyage au Burkina fait le buzz à Kinshasa et sur les réseaux sociaux, Atundu Liongo passe d’une chaine tv à une autre pour s’expliquer. Il soutient par ailleurs que la situation en RDC n’est pas similaire à celle du Burkina. Qu’ici, les défis sont autres et ont trait au rétablissement de la sécurité à l’est, aux défis de l’émergence, et à l’ambition des cinq chantiers de Kabila. Qu’au demeurant, jamais Joseph Kabila n’a dit vouloir modifier la constitution de la RDC pour se donner la possibilité d’un troisième mandat présidentiel. Mais dans l’opinion, beaucoup sont convaincus que la MP aurait bien voulu triturer la constitution. Auquel cas, certains disent croire en la capacité du peuple congolais de réaliser le tour de force des Burkinabè. Interrogé à ce sujet, l’abbé Nshole, secrétaire général adjoint de la CENCO a dit sur une radio périphérique ne pas croire à l’éventualité de la reproduction en RDC du schéma burkinabè parce que les autorités congolaises auront fait le geste qu’il faut pour éviter que l’on en arrive à cette issue. C’est précisément là, a-t-il dit le sens de la démarche des évêques de la CENCO qui, voyant venir le danger, ont donné l’alerte pour prévenir cette hypothèse. Citaf
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