Le viseur: Le syndrome d’Haïti

Publié le par cité africaine

Les flonflons de la fête du sacre des Léopards au CHAN 2016 ont quasiment laissé passer la nouvelle inaperçue : Haïti est depuis dimanche sans président de la République !

Comme il l'avait annoncé, le président Michel Martelly a achevé dimanche son mandat présidentiel sans remettre le pouvoir à un successeur, en raison du report de l’élection présidentielle. En effet, après le premier tour de la présidentielle, le 25 octobre dernier, le second tour , initialement prévu le 27 décembre, a été reporté dans un premier temps au 24 janvier, avant d’être ajourné sine die, empêchant donc Martelly de passer le pouvoir à un successeur le dimanche 7 février, comme le voulait la Constitution. Le processus électoral a été stoppé à la suite des contestations de l'opposition qui dénonçait «un coup d'État électoral» fomenté par le pouvoir exécutif.

Quelques heures avant la fin de son mandat, le chef de l’Etat sortant et les présidents des deux chambres du Parlement ont signé un accord de sortie de crise. Suivant cet accord de dernière minute, le parlement haïtien allait désigner un président par intérim. Des élections auront lieu le 24 avril et le nouveau président qui sera élu prendra ses fonctions en mai.

On le voit, le scénario ainsi dépeint plonge le pays dans une crise politique profonde. Voilà un président qui laisse un pays profondément divisé aux mains d'un gouvernement de transition qui va devoir gérer un nouveau processus électoral. Et cette procédure inédite ne garantit rien. Devant les parlementaires réunis à l'Assemblée nationale, le président sortant a déclaré :’’ L'Histoire «se rappellera aussi de mes échecs que j'assume et que j'assume seul, et parmi ceux-ci mon plus grand regret, celui d'élections présidentielles différées».

Ben oui ! Le fait pour un gouvernement en place de ne pas organiser les élections dans les délais constitutionnels est un échec qu’il se doit d’assumer.

C’est ce vendredi va échoir le délai de cinq jours consenti aux députés et sénateurs pour élire un président provisoire dont le mandat ne devra pas excéder 120 jours.

Entre-temps, la surenchère politique et sociale ne faiblit pas. La perspective d'un vide du pouvoir sur le long terme est une nouvelle difficulté pour la faible économie de ce pays très pauvre. Haïti pourrait basculer dans l’horreur.

Ce scénario haïtien donne froid dans le dos, à l’idée que de l’allure dont vont les choses, la RDC pourrait dans une certaine mesure se retrouver dans ce même cas de figure. Entre ceux qui entonnent ‘’ Kabila wumela, mandat esili te’’ (Demeure, le mandat court toujours) et ceux qui répliquent ‘’ Kabila, yebela, mandat esili’’ (Rappelle-toi, le mandat est terminé), les incertitudes ne font que se renforcer jour après jour quant à la probabilité de jamais voir la CENI organiser les élections, surtout la présidentielle, dans les délais constitutionnels. Puisqu’aussi bien notre Centrale électorale vient d’engager le pays dans une longue opération de quelque 13 à 16 mois pour la révision du fichier électoral ! Oh, certes, chez nous, l’on ne devrait pas avoir un ‘’président provisoire’’ comme en Haïti. Aux termes de l’article 70 de la Constitution, ‘’ à la fin de son mandat, le président de la République reste en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau président élu’’. Mais qu’importe ! Là où notre scénario rejoindrait celui de Haïti c’est au plan de la dimension ‘’légitimité’’. Le ‘’président du glissement’’ n’aurait plus la légitimité des urnes. Et dans un pays ‘’sensible’’ comme le nôtre, où déjà le calme tendu actuel met les forces d’ordre et de sécurité dans un état d’excitation morbide, nul ne peut jurer de rien et parier sur ce qui adviendrait alors. Mais, le plus dramatique serait que l’on retourne 10 ans en arrière, à l’époque où le pays se débattait encore dans la contestation de la légitimité des institutions et de leurs animateurs, ponctuée par des crises politiques et des guerres intestines récurrentes, depuis l’indépendance. Dans son exposé des motifs, la Constitution actuelle adoptée par notre peuple en referendum déclare : ‘’ En vue de mettre fin à cette crise chronique de légitimité et de donner au pays toutes les chances de se reconstruire, les délégués de la classe politique et de la Société civile, forces vives de la Nation, réunis en Dialogue Inter Congolais, ont convenu, dans l’Accord Global et Inclusif signé à Pretoria en Afrique du sud le 17 décembre 2002, de mettre en place un nouvel ordre politique, fondé sur une nouvelle Constitution démocratique sur base de laquelle le peuple congolais puisse choisir souverainement ses dirigeants, au terme des élections libres, pluralistes, démocratiques, transparentes et crédibles’’…

On le voit bien, ne pas organiser les élections cycliques, spécialement la plus symbolique de toutes, à savoir la présidentielle, là où est désigné le garant de la Nation, serait un rétropédalage qui rouvrirait, avec d’autant plus de brutalité encore, la crise de légitimité des institutions et de leurs animateurs chez nous. Non ! Ce n’est vraiment pas ce qu’un Congolais digne souhaiterait pour ce pays.

Mantha L.

Publié dans citaf

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