Le viseur: Triangle pour un glissement ?

Publié le par cité africaine

Si jusqu’à ce jour le ‘’Dialogue’’ tarde à voir le jour en tant que forum national où les parties prenantes discutent des sujets conditionnant la marche du pays, il faut cependant reconnaitre qu’il y a bien un dialogue à distance qui se tient, chacun demeurant dans son petit coin. Et aujourd’hui, le sujet au débat c’est cette nouvelle initiative prise par le président de la CENI. Le week-end dernier, Corneille Nangaa, désormais au centre de toutes les polémiques, a annoncé l’impossibilité pour son institution d’appui à la démocratie d’organiser l’élection présidentielle dans le délai constitutionnel. Il invoque des "contraintes techniques" ne permettant pas la révision dans le temps du fichier électoral aux fins de retirer des listes entre 1 et 2 millions de morts et d'y intégrer quelque 8 millions de nouveaux majeurs, ainsi que les Congolais de la diaspora.

On le sait, la CENI qui n'a lancé qu'en février dernier l'appel d'offres pour acquérir le matériel nécessaire à une telle révision, juge qu’il lui faut environ 17 mois pour cette opération. Or, selon la Constitution, la présidentielle doit se tenir d'ici la fin de l'année, le président en exercice terminant en décembre son deuxième et dernier mandat constitutionnel. La seule possibilité à l’organisation des scrutins en 2016 serait d’oublier la révision du fichier électoral, suggère le président de la CENI, en guise de voie de sortie. Ce qui reviendrait à recourir au fichier utilisé lors des élections de 2011, avec toutes les carences indiquées ci-dessus. Une option que ne devrait pouvoir lever que la classe politique.

Coincé donc, le président de la CENI a dit le week-end dernier devoir introduire une requête à la Cour Constitutionnelle afin d’obtenir une "petite extension qui ne sera pas éternelle" pour pouvoir organiser la présidentielle. Sans autre indication de délai ! Pour sa part, la MP adhère à cette approche. « C’est une démarche légitime, normale et même régulière de la part d’un responsable qui voudrait être fixé sur la constitutionnalité d’un acte qu’il pourrait être amené à poser», indique son porte-parole.

Mais, face à cette curieuse perspective, l'opposition accuse la CENI de «se comporter en bras séculier du pouvoir » pour atteindre l’objectif du glissement. Pour l’opposition, la CENI ne fait que jouer sa partition d’un scénario mis en musique à l’occasion de la réunion interinstitutionnelle tenue deux jours plus tôt.

Cependant, l’opposition rappelle que selon la Constitution en son article 161, ‘’la Cour constitutionnelle connaît des recours en interprétation de la Constitution sur saisine du Président de la République, du Gouvernement, du Président du Sénat, du Président de l’Assemblée nationale, d’un dixième des membres de chacune des Chambres parlementaires, des gouverneurs de Province et des présidents des Assemblées provinciales’’. La CENI n’a donc pas qualité de saisir la Cour. Non plus que la Cour Constitutionnelle n’a compétence pour autoriser à ne pas respecter la Constitution.

La requête de la CENI, disent les détracteurs de cette démarche, devrait donc être, sans autre forme de procès, déclarée irrecevable, pour défaut de qualité dans le chef de la CENI et de compétence pour la Cour.

En réalité, cela n’est pas si sûr. Il y a une jurisprudence en la matière avec la Cour Constitutionnelle. Pour rappel, la même CENI avait introduit l’an dernier une requête sollicitant de la Cour l’interprétation des dispositions de loi en rapport avec les modalités d’installation de nouvelles provinces, d’une part, et l’organisation des élections, d’autre part. On s’en souvient, la Cour par son arrêt R. Const. 0089/2015 s’était déclarée incompétente à interpréter des lois. Pour autant, dans les mêmes circonstances de temps et de lieu, la même CENI avait sollicité l’avis de la Cour sur la poursuite du processus électoral tel que planifié par sa décision n°001 /CENI/ BUR/15 du 12 février 2015 face aux contraintes prohibitives rencontrées. Là, rappelons-nous, la Cour s’était déclarée compétente dans ce même arrêt, en invoquant ‘’ son pouvoir de régulation de la vie politique, du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics’’. Elle avait décrété le cas de force majeure, enjoignant au gouvernement de prendre des dispositions transitoires exceptionnelles pour l’administration des 21 provinces en cause. C’est la brèche ainsi ouverte qui donna lieu à la nomination tant décriée des commissaires spéciaux du gouvernement en charge des 21 nouvelles provinces. La Cour avait aussi à l’occasion de son arrêt ordonné à la CENI d’évaluer tout le processus électoral conduisant aux élections prévues dans son calendrier global du 12 février 2015.

Alors, question : la Cour Constitutionnelle ne va-t-elle pas demain, invoquer, comme hier, le cas de force majeure et autoriser le glissement comme elle avait ordonné les mesures exceptionnelles?

D’aucuns considèrent que l’on n’est pas dans un même cas de figure. D’abord, parce que l’on ne peut pas à 8 mois de la fin du mandat présidentiel alléguer une quelconque force majeure nécessitant sa prorogation. La force majeure ne peut pas s’anticiper. Elle se constate après coup. La force majeure se décline au passé et non au futur. Ensuite parce que la Cour n’est pas susceptible d’accorder un permis de violer la Constitution. En l’occurrence, il s’agit de l’article 73 de la Constitution demandant la convocation du corps électoral 90 jours avant la fin du mandat du président en exercice. A moins que la Cour n’en vienne à nous servir une de ces entourloupettes dont les juristes sont coutumiers.

Mantha L.

Publié dans citaf

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