Le viseur: Qui perd gagne

Publié le par La cité africaine

Le clash provoqué lundi par l’opposition au dialogue aura duré trois jours. Durant lesquels, le facilitateur Edem Kodjo, aidé du Groupe international de soutien, et déployant, à coups de tractations et de discours moralisateurs, ses talents de diplomate et de politique avisé, a manœuvré pour dénouer l’intrigue au sujet de l’ordre de tenue des élections. L’Opposition voulait en effet que l’on commençât par la présidentielle, tandis que la Majorité entendait privilégier les élections locales. Au bout du compte, mercredi soir, les deux parties ont convenu de ‘’l’organisation, en une séquence, des élections présidentielle, législatives nationales et provinciales. Les élections locales seront organisées concomitamment aux trois premières si les moyens techniques et financiers le permettent ‘’. Du coup, jeudi, après les cérémonies d’ouverture de la session parlementaire de septembre à l’Assemblée nationale et au Sénat, les délégués au dialogue ont repris leurs travaux à la Cité de l’Union Africaine. Il s’agissait d’achever les discussions au sein des trois Commissions ‘’Elections’’, ‘’Sécurisation’’ et ‘’ Ethique’’, de façon à en présenter les conclusions dès ce vendredi au débat et à l’adoption par la plénière. La clôture du dialogue devrait intervenir samedi.

Finalement, tout ceci était comme écrit d’avance. L’on avait annoncé que ce dialogue servirait à dégager un certain consensus autour de la gestion du pays après le 20 décembre 2016. Eh bien, nous y voilà. L’on avait avancé que le dialogue allait en fait prendre acte du maintien au pouvoir de l’actuel chef de l’Etat, au-delà de son mandat constitutionnel, consacrant un glissement général pour toutes les institutions du pays. C’est chose faite. L’on avait prédit que ce conclave serait sanctionné par la mise sur pied d’un gouvernement impliquant l’opposition pour gérer l’après 20 décembre 2016. C’est acquis. D’où les cris d’orfraie de tous ceux qui, pour se donner bonne conscience, continuent de dénoncer ce que tout le monde savait à l’avance, en criant à la violation de la constitution de la RDC, et en fustigeant la complicité de la Communauté internationale qui est passée par-dessus les dispositions de sa propre résolution 2277 sur le respect des délais constitutionnels. D’où aussi l’accusation de trahison mise à charge de l’opposition présente au dialogue, laquelle est reprochée par ses contempteurs d’avoir servi de faire valoir à une machinerie organisée de longue date pour faire accepter le prolongement du bail de l’actuel président de la République. La CENCO qui jouait à ’’ arrêtez-moi, sinon je fais un malheur’’ n’a pas mis sa menace à exécution, alors que l’évidence du non-respect de la constitution en son article 73 crevait les yeux.

Au moment où s’achève le dialogue, l’on a le sentiment que le jeu avait tourné à ‘’qui perd gagne’’. Les opposants ont certes perdu la bataille du respect des délais constitutionnels. Au moins gagnent-ils sur papier celle de l’alternance politique, puisqu’aussi bien la constitution n’est pas modifiée et qu’il est désormais établi que la présidentielle aura bel et bien lieu, en conformité avec les dispositions constitutionnelles verrouillées, et qui le demeurent.

L’opposition présente au dialogue en sort quelque peu plumée sur le plan de sa crédibilité au niveau de l’opinion, car elle n’a pas vu réalisés ‘’ ses préalables’’ concernant la libération de tous les prisonniers politiques, dont J.C. Muyambo et Diomi Ndongala, l’abandon des poursuites judiciaires et des tracasseries fiscales à charge des opposants. Pour autant, elle engrange des dividendes politiques. La participation au prochain gouvernement permettra à ces opposants de se refaire une santé financière et de mettre de côté quelques moyens pour affronter l’électorat. L’on sait combien, dans nos pays, les électeurs sont influencés, non par les débats d’idées sur les programmes de conduite de l’Etat, mais par des considérations subjectives basées sur des mécanismes clientélistes. Les élections sont caractérisées par l’instrumentalisation chez nos politiciens des identités tribalo-claniques, l’achat des votes avec divers dons en nature ou en espèces.

Côté Majorité, en perdant la bataille de la préséance des élections locales, l’on n’a pas pu repousser sine die la présidentielle. Il n’empêche, l’on bénéficie d’une rallonge d’au moins deux ans encore. Le temps pour Corneille Nangaa de se mettre en situation de pouvoir effectivement organiser ces élections. Le temps aussi de voir venir. Car il ne suffit pas d’avoir un calendrier électoral, encore faut-il le respecter. Et l’expérience récente rappelle que des provinciales ont dernièrement été convoquées dans ce pays, des candidatures déposées, des cautions électorales versées ; mais après, l’on n’a rien vu venir ! Organiser le même jour la présidentielle, les législatives, les provinciales, ne va pas être une sinécure pour la CENI.

Quant à l’opposition auto-exclue du dialogue et rassemblée autour de Tshisekedi, elle rate le train du ‘’gouvernement issu du dialogue’’, et perd les avantages qui y sont liés. Mais elle renforce son assise auprès de la rue. En agissant comme objecteur de conscience et comme une sentinelle menaçante, elle a agité chez les dialogueurs le garde-fou du ‘’qu’en dira-t-on’’ pour ne pas laisser faire n’importe quoi. L’opposition tshisekediste n’a sans doute pas dit son dernier mot. Elle n’a pas renoncé à infléchir la transition après le 20 décembre 2016. Disposant d’un vivier naturel, avec tous les déçus de la gouvernance actuelle, ceux qui se plaignent de la misère, du coût de la vie, de la pénible scolarisation des enfants, de la desserte insuffisante en eau et en électricité, des logements indécents… et tutti quanti, cette opposition garde une capacité de mobilisation et de nuisance. En tout état de cause, l’après-dialogue va ouvrir une période d’incertitudes et d’agitations multiformes. Le pouvoir le sait. Et ce n’est pas la démonstration de force de mercredi, au travers du défilé sur les principales artères de la capitale d’un impressionnant arsenal antiémeutes, avec des canons à eau chaude, qui le démentira.

Mantha L.

Publié dans citaf

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